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Second voyage dans le sud du Japon


  

 


A la poursuite des Karintous


 



23 jours à vélo dans le sud du Japon

 



   

Par Xavier KERROMEN

 

 





Kobé

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Akashi

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Okayama

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Onomichi

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Matsuyama

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Beppu

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Nobeoka

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Miyasaki

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Kirishima

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Aira

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Izumi

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Kumamoto

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Fukuoka

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Kita-Kyushu

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Hagi

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Hamada

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Matsue

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Tottori

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Himeji

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Kobé

 

 





 

 Au commencement était l'île artificielle.

 

Chine, Canton, aéroport du nuage blanc, mardi 25 juin 2019 à 4h33. Le vol pour L'aéroport international d'Osaka Kansai est le seul du hall d'embarquement, il n'y a que nous.

 

Depuis tout petit avec mon grand frère nous avons lorgné sur cette culture, grandi en regardant Nicky Larson, Ranma 1/2, Dragon Ball et le reste de la programmation du club Dorothée. J'étais trop jeune pour Goldorak, Capitaine Flamme ou Albator, je ne les verrai que des années plus tard. Mes seules collections complètes auront été les Chevalier du Zodiaque, Ken le Survivant et BT'X, j'ai aussi cumulé quelques Chaman King et d'autres dont j'ai oublié les noms. Mes séries préférées sont Dragon Ball Z, Hunter X hunter, 3X3 eyes et Yuyu hakusho. Mes classiques animés sont Patlabor, Akira, Perfect Blue, Kenshin avant le Vagabond. Avec mon frère et nos potes on s'est bastonnés jusqu'à ce que les pouces saignent sur Street Fighter 2 et DBZ. J'ai dévoré des Cités d'Or, du RG Veda et des Chroniques de Lodoss et je me suis repassé l'intégrale des studios Ghibli durant les trois jours avant mon départ. Quand j'étais petit et que j'allais piquer les mangas de mon frère parce que les siens étaient mieux que les miens, j'avais même trouvé un manga cochon, pierre angulaire de cette sous culture qui me permis de parfaire ma formation à l'univers de la Japanimation. J'étais prêt. Adolescent nous avons tous deux pratiqués l'Aïkido et le Katori Shintoriu, l'art du sabre japonais, ou Katori pour les intimes. Au Lycée, ma meilleure amie était Franco-Japonaise. Bref, une importante batterie d'indices convergeait vers une seule et même destinée : je devais mettre un jour les pieds sur la péninsule. Et puis, jusqu'à très tard dans ma vie, j'ai cru que Nippon était un terme péjoratif pour désigner les japonais, il me fallait corriger cette erreur et en avoir le cœur net.

 

Je me suis renseigné avant de partir et il semblerait qu'acheter un vélo sur place ne soit pas chose facile. Apparemment les vélos au Japon comportent une plaque d'immatriculation, ce qui implique un enregistrement avec identité, adresse, numéro de téléphone etc. Cela risque de compliquer les choses. Il se peut que cette modalité ne soit obligatoire que pour les vélos de route d'un certain standing, mais rien n'est moins sûr, les informations que mes amis me donnent se contredisent. L'option de la location est peut-être à envisager mais j'aimerais bien rouler avec ma meule à moi.

 

Dans le hall de l'aéroport il y a un groupe de chinois d'agence de voyage qui se joint au vol, ils ont tous leur lot d’œufs durs, de nouilles instantanées, et autres comestibles malodorants qu'ils étalent dans le hall juste avant le départ. Sur ma simulation de trajet, j'ai 27 jours à crapahuter entre montagnes et bord de mer en priant pour un relief clément et une urbanisation discrète. Avec une moyenne de 119 kilomètres par jour et des villes telles que: Kobé, Hiroshima ou Kagoshima, il y a même des villes du nom de Miyazaki et Naruto sur le parcours.

Sur ce vol, la population de la cabine est à large dominante féminine, ce qui rend l'atmosphère plus respirable et le voyage plus calme. Je ne suis pas tout à fait tranquille car depuis trois jours je suis sur le coup d'une inhabituelle fatigue et j'ai peur d'avoir attrapé froid. Je n'ai presque pas bougé de chez moi du week-end avec d'inquiétantes douleurs à la cage thoracique. Le vol se passe, j'arrive à dormir, j'espère que je n'ai pas trop ronflé. 3h25 de durée de vol et nous arrivons à Kansai Osaka en milieu de matinée. Le personnel de bord distribue deux papiers à remplir avant d'atterrir, mais l'un est tout en chinois et ils ne l'ont pas en anglais. Première difficulté à la douane : mon passeport n'arrive pas à être lu par la machine, le douanier remplit alors un formulaire, appelle un collègue et me voilà escorté dans un bureau annexe. J'avais déjà eu des problèmes avec la page d'identité de mon document de voyage à la frontière entre le Vietnam et la Chine quelques mois plus tôt. J'avais hésité à le refaire et finalement, n'ai pas pris le temps de me rendre au consulat pour en demander un nouveau. Je suis prié d'attendre dans une salle très bien tenue : deux canapés, une fontaine d'eau, un écran de fond comme on en voit dans les boutiques de photos d'identité et derrière cela un bureau surélevé. Je patiente, l'homme qui m'avait accompagné réapparaît, il doit avoir la quarantaine, portes ses lunettes de manière assez maladroite, il a en bandoulière une sacoche en cuir dont il semble ne jamais se séparer, et bien sûr, son uniforme de douanier. Il a une attitude quelque peu déroutante, comme une folie douce qui rend la situation assez amusante au vu de sa fonction. Il revient, mon passeport en main, me demande si j'ai une autre pièce d'identité, je n'ai pris que mon ancien passeport au cas où justement je me retrouve à nouveau dans ce genre de situation. Selon lui, j'aurais mieux fait de prendre la carte d'identité française, cela nous aurait fait gagner du temps affirme-t-il. Il me tend tout d'abord l'un des documents que j'ai rempli à l'arrivée :

 

–      C'est vous qui avez écrit ces informations?

–      Oui c'est moi.

–      C'est votre nom ça ?

–      Oui.

–      Écrivez-le à nouveau juste à côté.

 

Je m'exécute, il me scrute à nouveau en me comparant à mon passeport "please, it's very important" lance-t-il le regard très concentré. Il place ensuite mon passeport presque sur sa poitrine, me somme de dire stop au moment de mon choix et commence à feuilleter les pages en me lançant un regard de croupier. Stop! Il observe la page sur laquelle il s'est arrêté pour me montrer le dessin du filigrane:

 

–      Quel est le nom de cette île ?

–      C'est la Corse, dis-je.

–      Encore.

–      La Corse

–      Quelle est la capitale de la Corse?

–      Ajaccio ou Bastia, je ne suis pas sûr.

 

Ensuite il s'enfuit à nouveau avec mon document de voyage et me dit de ne pas m'inquiéter, il est très marrant dans son attitude. Au bout de quelques minutes, il revient pour me faire constater le visa à l'arrivée qu'il a posé sur une page de mon passeport et me dit que c'est bon. J'ai mes 90 jours. Nous sortons du bureau et il me rend ma liberté par un portail qu'il ouvre en me gratifiant d'un "au revoir" en français s'il vous plaît.

 

Ensuite il faut passer l'inspection des bagages, et c'est à ce moment-là qu'il me faut trouver un nouvel exemplaire en anglais du formulaire qui m'avait été remis en chinois dans l'avion. Mais avant cela, deux choses indispensables à faire au moment d'arriver sur le territoire nippon : premièrement, repérer les Yakuzas et deuxièmement, tester les washlets, les toilettes électroniques avec système de jet d'eau propulsé tout droit dans la raie des fesses. C'est génial pour se réveiller d'une nuit en l'avion. On me fait ensuite ouvrir mon sac, je dois avoir un profil de trafiquant de substances psychotropes… aucun problème avec le contenu de mon bagage, me voilà sorti d'affaire pour de bon, je peux enfin quitter le bâtiment de l'aéroport d'Osaka Kansai et faire mes premiers pas sur le territoire japonais en foulant l'île artificielle construite spécialement pour l'aéroport. Le terminal des arrivées internationales ne comporte aucun distributeur de billets, il me faut aller jusqu'aux arrivées domestiques pour mettre la main sur un cracheur de pognon agréé Union Pay. Ensuite il faut prendre un bus dont je suis seul passager, qui me dépose sur le quai d'un ferry direction l'aéroport de Kobe, lui aussi construit sur une île artificielle. C'est donc une jolie balade de 30 minutes en bateau qui me laisse le temps d'écrire un peu. Le ciel est bleu, c'est l'été juste ce qu'il faut et pas d'humidité pour gâcher l'ambiance. Ça devrait être plus agréable que mes précédents voyages, je n'ai plus de douleurs dorsales, même avec le sac sur le dos. En empruntant un à un les différents transports publics, je redécouvre les joies de la courtoisie. La légende disait vrai, les japonais sont très polis, il va me falloir faire attention à rendre les salutations, je vis en Chine, un pays où l'indifférence envers autrui est une tradition culturelle.

 

C'est au détour d'une station au sud de Kobe que je commence l'exploration. Je m'adresse alors à une jeune indigène s'apprêtant à monter sur son vélo de ville. Elle me localise l'adresse d'un vendeur de vélos, j'ai deux kilomètres à marcher. En m'arrêtant devant un Family Mart, je tombe sur une grande blonde et lui pose alors la même question. Elle a un fort accent russe et m'indique ce qui semble être la même boutique. Je poursuis la marche en confiance, même si je sens très mauvais de sous les bras. Les rues sont très propres, le système de circulation bien pensé et les usagers respectueux des règles, tout cela crée une atmosphère très harmonieuse. Je trouve ma boutique au bout de quinze minutes, elle resplendit, c'est une Asahi, comme la bière. Depuis l'autre côté de la rue, d'où j'attends patiemment que le feu passe au vert, je contemple la vitrine sur ses deux étages pour constater que le choix est large. En entrant je fais le tour du propriétaire, les prix sont plutôt élevés et peu de modèles de base. Les vélos de route sont classes et horriblement chers, au second étage il y a les accessoires et d'autres modèles exposés derrière les rayons. C'est là que je trouve mon bonheur, un tout terrain, basique mais tout de même de très bonne facture, j'ai même droit à une suspension avant, et les techniciens affairés en bas m'y posent un solide porte bagage. Je me munis également d'un antivol, facture totale, 260 euros. Pour leurs histoires d'assurance et d'immatriculation c'est en fait au bon vouloir du client, ils me demandent si je veux souscrire à une assurance, auquel cas ils posent un sticker avec un numéro d'immatriculation sur le cadre et demandent de remplir un formulaire ainsi qu'une procédure d'enregistrement à la police, mais je décline l'offre et achète le vélo tel que.

C'est un INDICATOR ou IDCR. Suspensions IDCR, changeur de vitesses Shimano, freins Tektro, selle IDCR, ils mettent un bon moment à poser le porte bagage et faire les réglages, j'en profite pour transvaser quelques affaires dans mon petit sac : gants, bandana, carnet de notes, portefeuille, stylo, gourde, pompe, et téléphone. Ce dernier parvient à me localiser même sans carte SIM locale, durant mes précédents voyages il était arrivé qu'il ne me trouve plus et j'avais dû acheter une carte SIM locale, espérons que je puisse faire tout le voyage sans cela. Sur le comptoir du vendeur il y a des cartes de parcours de cycliste, dont une de Shodoshima, une petite île qui n'est accessible que par bateau, et semble être un paradis pour deux roues. Une fois ma monture prête, je montre au vendeur que ma pompe ne va pas avec ce modèle de valve, et il ne vend pas d'adaptateur, tant pis. Je n'achète pas non plus de rustines. Je charge mon gros sac à l'arrière et ça roule bien. Je reviens tout d'abord sur mes pas pour foncer sud-ouest, en direction de Maiko.

 

Les routes sont vraiment agréables, je m'arrête beaucoup en ville, fais pleins de photos, parcoure les banlieues résidentielles. Dans le quartier de Maiko se trouve le gigantesque pont menant sur l'île de Shikoku. Je me perds un peu dans les collines environnantes, tombe sur un luxueux complexe hôtelier où je n'entre surtout pas vu comme c'est propre. Des locaux d'un magasin de matériel de cuisine me font savoir que c'est le seul hôtel du coin, il est bientôt 6h et ça m'énerve. Je repère une chambre en dortoir sur ma carte le long de la plage à mi-chemin de la ville suivante, j'y bourre en désespoir de cause. C'est un hôtel de surfeurs, le Gueraguera hostel, le personnel y est charmant, j'ai un seul autre client avec qui partager le dortoir de dix lits, Tout est aussi petit que propre, en soit il y a tout ce qu'il faut, c'est juste la couchette qui ne donne pas très envie. Je n'ai presque rien mangé de la journée et pas dormi de la nuit mais trouve tout de même la force de reprendre la route pour aller en ville et commander un riz sauté au bœuf et sa délicieuse soupe miso en accompagnement, classique, efficace. J'ai encore du mal à faire les conversions monétaires de tête, on m'avait dit que la nourriture ne coûtait rien au Japon, mon cul. C'est deux à trois fois plus cher que dans des pays comme le Vietnam ou la Thaïlande. Et les hôtels c'est encore pire. Je n'aime pas me faire pomper mon fric quand je suis en vacances, ça me gâche le paysage. Espérons qu'en allant plus profond dans les terres la vie devienne moins chère. Je viens d'apprendre qu'il est impossible de prendre le grand pont pour l'île d'Awaji puis de Shikoku, il faut prendre un bateau, je ne sais pas où exactement.

 

Pour résumer : arrivée sur le territoire vers 10H30, retardé à la douane, puis bus, ferry, bus, train aérien, balade dans Kobe pour trouver un vélo, sortie de ville et vadrouille dans les collines d'Akashi jusqu'au soir. Résultat 25kms effectifs. Au moins j'ai trouvé un vélo dans la journée, ce n'est pas un Mikasuki, le fameux vélo du Golden Boy Kintaro Oé, comme je l'avais tant espéré mais tant pis. Désormais je n'ai plus qu'à m'enfoncer dans les méandres de l'arrière-pays nippon.

 

 

Deuxième jour:

 

Au petit matin, j'abandonne l'option île du sud, je ne sais pas comment y aller. Alors je décide de simplement continuer à longer la côte, peut-être en profiter pour m'aventurer dans les montagnes. Sur la grande terrasse de l'hôtel qui donne sur le bord de mer, il y a des anciens qui regardent l'horizon. J'y détache mon vélo et commence à charger la mule. Je lave mon T-shirt en synthétique, il me suffira de le porter quelques minutes en roulant et il sera sec. Une banane, de l'eau et c'est parti. Il est 7h35 au départ et j'ai bien dormi, je suis lancé avec Okayama dans le viseur à 122kms, capitale de sa préfecture. Au sud ce cette dernière un pont fait le lien avec la grande île de Shikoku, peut être que j'aurai le droit d'y aller cette fois-ci.

 

Il fait très beau, le paysage reste fortement urbain, en passant de villes en villes, je traverse de splendides banlieues pavillonnaires, ne pouvant m'empêcher de dévier de la route ici et là pour baguenauder dans les ruelles, passer devant des temples, des villas, des rizières. Un minuscule restaurant de nouilles me rappelle le film Tampoppo, c'est une vieille dame qui tient les lieux et me fait comprendre que j'arrive trop tard pour un Ramen matinal. En sortant d'Himeji je constate comme à la ville précédente que c'est passablement bouchonné dans le sens inverse, les gens vont travailler, tandis que je file tranquille vers l'inconnu. Nous sommes aux environs de 9h, après mon échec dans la boutique de nouilles, je me vois contraint de me rabattre sur un 7Eleven pour un gros gâteau au chocolat et une boisson au café. Ensuite je continue à suivre le bord de mer, il y a beaucoup de sites d'usine, de marinas, je prends beaucoup de belles maisons en photo, avec leurs petits jardins sur le perron. Étant résident en Chine, ce qui me frappe le plus ici c'est la propreté : maisons, voitures, routes, berges, ponts, camions, bateaux, et surtout, ce qui contraste le plus avec la Chine : les gens. Ils sont propres, bien habillés, courtois, c'est une autre dimension. De plus, les usagers font preuve d'un grand respect des règles et d'une bonne réactivité sur la route, si bien qu'il est assez facile de circuler. Le gros inconvénient est que l'urbanisation n'en finit plus, il y a beaucoup de croisements et donc de nombreux feux de circulation. Ajoutez à cela de bonne grosses montées et descentes ainsi que de multiples occasions de sortir mon appareil photo et il est pour ainsi dire impossible de conserver un rythme régulier. Dans l'ensemble la route est donc très saccadée, c'est une habitude qu'il va me falloir prendre. On dirait que c'est une période d'élection car je vois beaucoup d'affiches de spécialistes du serrage de louches en costume cravate.

 

En sortant d'Himeji ça se calme enfin, devant moi il y a un cyclotouriste, il a les sacoches, le sac à dos, le pare-pluie, etc. Alors je le prends en filature pour observer son comportement et sa tenue de route, voir si je fais les choses bien. La première forêt que j'aperçois est posée sur une colline avec une méchante côte qu'il me faut grimper. J'ai l'impression que si je veux voir de l'arrière- pays nippon il va me falloir le mériter à coups de décilitres de transpiration. Je passe mon premier village et la tendance se confirme. Certes les montées sont courtes mais intenses. Heureusement voilà un an que je fais des voyages à vélo, alors j'ai un bon entraînement : Malaisie, Thaïlande, Cambodge, Vietnam. Mais le Japon c'est clairement d'un niveau supérieur. Je tombe sur un charmant restaurant bordant la route 250 qui longe la côte, il est 11H23. J'ai encore plus de 70kms à faire pour atteindre Okayama, au vu de ce que j'ai enduré ce matin je ne pense pas pouvoir y arriver, d'une manière générale il va me falloir revoir mes journées à la baisse.


 

Vu d'une carte, le Japon a le plus important réseau routier que je n'ai jamais vu, mais il reste difficile de trouver des petits axes tranquilles. J'essaie de prendre des routes annexes, mais même sur cette régionale 250 qui va se perdre dans les collines, ça bourre continuellement. Pour le moment un peu de repos avec un bol de nouilles en soupe. Le restaurant est tenu par un couple d'anciens, il y a une partie boutique à l'entrée avec des étagères de produits régionaux, quelques clients dont trois mecs en costard qui sont assis au fond dans la partie surélevée où il faut enlever ses chaussures et s'asseoir en tailleur. En général les japonais sortent pour fumer mais ces trois-là sont assis autour de leur table et tirent sur leur clopes en regardant les autres clients pour montrer qu'ils sont des vrais mecs. En reprenant la route, je tombe sur un village en bord de mer du nom de Bizun. Une boutique de vélos se trouve en plein dans la rue principale, je décide d'y faire un stop pour demander un hôtel. La jeune dame me tend une carte des lieux, il y a quatre adresses où je peux me rendre, au premier la réceptionniste mets ses petits doigts en croix pour me faire comprendre que ça ne va pas être possible, le second n'ouvre pas ses portes, c'est un hôtel restaurant mais il n'y a pas une âme à l'intérieur. J'aperçois une dame qui dort dans le restaurant voisin, je la réveille sans ménagement, avec elle et une de ses collègues venue en renfort, nous essayons de communiquer. Je leur demande de passer un coup de fil à l'hôtel d'à côté mais toutes deux me confirment que c'est niet. Je trouve le troisième établissement, je lance des appels vocaux de tout mon coffre, un chien me répond et une dame apparaît. Nous avons du mal à nous comprendre, mais je devine que c'est mort, alors je tourne les talons. Mais elle me demande de patienter puis revient cinq minutes plus tard avec la même réponse, c'est définitivement pas mon jour. A nouveau elle me demande de patienter pour revenir après cinq longues minutes tenant un papier écrit: "no, holidays" (j'ai ajouté la virgule moi-même, cela me semblait plus logique). Je ne suis pas sûr de comprendre ce qui se joue, est ce qu'ils sont pleins parce que c'est la période de vacances ? ou bien sont-ils eux mêmes en vacances ?

Je sors de là en pestant, cette connasse m'a fait perdre un temps précieux pour me rabâcher trois fois la même chose alors que j'avais compris d'entrée de jeux. Si c'est ça la courtoisie, alors il y a de sérieuses différences culturelles par ici. Je suis contraint et forcé de quitter la ville et à vue de nez je ne trouverai rien avant Setouchi. J'ai les jambes en miettes, elles me hissent tout de même jusqu'à la charmante bourgade en question, il y a des terrains de sport pour les étudiants, ils font beaucoup de base-ball. Je repère un grand nombre de bâtiments qui ressemblent fort à des motels, mais n'y trouve aucune réception. Ce sont des grosses briques de deux étages avec des escaliers en bout de course et des portes en tout point identiques tous les trois ou quatre mètres le long des deux niveaux. Mais il n'y a absolument personne et aucun signe distinctif sur les portes ou les murs. Pourtant en passant derrière les immeubles je peux voir du linge sécher aux balcons et quelques vélos garés au rez-de- chaussée. De plus mon GPS indique que c'est un hôtel. Cependant il y en a une forte concentration dans les parages, c'est très étrange. Je finis par demander dans une boutique de restauration rapide, on me répond que ce sont des appartements ! Ça doit être minuscule à l'intérieur. Je l'ai dans l'os pour dormir ici. On me dit qu'il n'y a aucun hôtel avant Okayama, qui est encore à 15kms, il est tard et je n'en peux plus. Alors je prends la décision d'enfreindre la règle d'or : je pose mon séant à un arrêt de bus, enfile une pièce dans le distributeur de boissons juste à côté et appuie sur le bouton pour que tombe une cannette de Coca-Cola. Je la vide, rote un bon coup, et c'est reparti direction la grande ville. Je m'en vais te les faire fondre les seize sucres. Il se met à pleuvoir mollement, le bourg que je traverse est très vivant, mais pas une seule pancarte d'hôtel en vue, c'est pas possible ! Dans tous les pays que j'ai arpentés, il y avait toujours des hôtels en ville, en banlieue, même à la campagne, même en Chine ils ont des chaînes hôtelières bon marché implantées dans n'importe quelle ville si petite soit-elle pour les badauds de passage, ici rien.

 

Même une fois le centre-ville de Okayama atteint, j'ai un mal fou à trouver un logis, certains sont trop chers, d'autres sont fermés, et tous sembles être situés dans le même quartier, celui des bars, des restaurants et autres divertissements nocturnes, exactement ce que je veux éviter. Je tente de me diriger un peu plus vers l'Ouest pour sortir de ce bordel, j'ai dû tourner une bonne heure en ville avant de voir un Homestay Lazyhouse sur mon GPS, je tente. Il y a un Panda sur la porte, ça doit être là. Une vieille dame ouvre la porte et m'indique le bâtiment juste à côté, elle m'y accompagne même. Je la remercie et constate qu'il y a le nom sur la façade, c'est un immeuble de trois ou quatre étages, avec un grand espace ouvert au rez-de-chaussée, où deux petits camions sont garés. Au fond se trouvent des escaliers en métal qui me permettent d'atteindre l'étage du dessus, un écriteau indique de s'adresser à la chambre 302 pour trouver la réception. Je croise un client sur le départ, il sort d'une autre chambre avec un sac plastique dans les mains. Nous discutons cinq bonnes minutes avant de réaliser que nous sommes tous deux français. Comme je n'utilise aucune des applications courantes ici, il m'aide à contacter le propriétaire qui rapplique dans la minute et m'accueille. Sur booking.com il n'y avait plus de chambre libre, mais lui me dit le contraire. J'ai une chambre avec deux lits à partager avec un autochtone. Il est 20h10, je suis sauvé. Nous partageons une entrée, un coin cuisine, un frigo, une mini salle d'eau, un mini toilette, la chambre avec les deux lits et même un grand miroir sur pied. Il y a une machine à laver, j'en profite, c'est largement mieux que la veille et pour le même prix. Mon colocataire revient tandis que je suis en train de me décrasser sous la douche. Il doit se lever tôt demain matin, il va à Kobe pour travailler. Je dîne sur un Ramen au bœuf et une brique de jus de pêche violemment sucrée. J'ai fait environ 140kms et j'ai tout de même du mal à dormir car mon voisin de chambre ronfle comme un cochon et le fond d'alcool de fruit que le propriétaire a partagé avec moi en conversant n'y change rien.

 

 

Troisième jour:

 

Au matin il se prépare et quitte la chambre alors que je suis encore au lit, j'ignore combien d'heures j'ai réussi à dormir mais je ne suis pas frais. Je fais mes bagages, finis le jus de pêche, mange une carotte, salue le proprio et à la revoyure. Il m'avait précisé avant que je mette les voiles que c'était le début de la saison des pluies, c'est bien ma veine. Entre ça et mon arrivé en Malaise le 1er jour du Ramadan l'année précédente, quel timing... J'avais acheté mon billet pour ce voyage sur un coup de tête deux semaines avant le départ car j'en avais marre de me répéter vouloir faire le Japon en vélo et de ne pas le faire. Il pleut donc, et ça n'a pas l'air de vouloir s'arrêter. De tous les côtés le ciel est blanc cassé, pas un pet de bleu pour me remonter le moral. Un premier arrêt dans un supermarché discount, je le vois aux cartons empilés tel quel pour former les rayons avec juste celui du dessus ouvert, même chose dans l'entrée du magasin. Il est encore tôt mais déjà des clients font leurs courses. Je me procure une grande bouteille d'eau pour la journée et des tortillas de pain brioché à la pâte de haricot pour petit déjeuner. C'est bon la pâte de haricot. Je mange à la sortie de la grande surface en regardant la pluie.

 

La sortie de ville se fait par l'ouest sur la route 162 qui viens mourir sur la 429. Celle-ci fonce plein sud-ouest jusqu'à un long pont interdit aux vélos que je franchis à grande vitesse en essayant de ne pas trop me faire remarquer. C'est difficile de rester sur la route, le bas-côté est inondé et j'en ai plein les mules. A ce stade on dirait que j'ai plongé dans une piscine jusqu'à la taille, le reste est protégé par mon pare pluie mais ça me casse tout de même ma moyenne. J'essaie les petites routes mais il y en a tellement que c'est un bordel pas possible de changements et de zigzag. Alors je reste sur la 429 jusqu'à atteindre la nationale 2 et cette fois-ci il m'est impératif de rester sur le trottoir. Cela vient me ralentir davantage car il est sans cesse coupé de croisements, de bateaux et autres nuisances alors que sur ma droite, sur l'impeccable chaussée, les véhicules s'en donnent à cœur joie. Oui le Nippon roule à gauche, encore un détail auquel il va me falloir m'habituer. Pour l'heure, privilégions la sécurité en restant sur le trottoir. J'arrive tout de même à bourrer jusqu'à Kasaka où je fais une pause bien mérité. Sous une voie aérienne se trouve un vieux wagon de tramway exposé là et qui semble servir de squat. Je n'en ai jamais vu un aussi propre : quelques cannette vides posées à la verticale sur les bancs en bois, le reste des ordures est dans des sacs plastiques. Le seul élément semblant refléter un acte d'outrageuse négligence sanitaire est un mégot de clope écrasé sur le banc. Je me pose et écris quelques lignes. Il est 11h35 et je ne suis plus qu'à 35kms d'Onomichi, ma ville étape que j'avais prévue pour que la journée ne soit pas trop fatigante au vu de celle d'hier. La pluie s'est arrêtée, je remballe le K-way et continue de plus belle sur la Nationale 2. J'avais franchis un pont me permettant d’apercevoir un temple adossé à la lisière d'une forêt sur ma gauche, il semble énorme. Je fais alors un détour pour approcher la bête. C'est le temple de Kusadoinari, la structure est magnifique, un bâtiment principal tout en armatures de bois peint en rouge vif, dans un bâtiment annexe, une salle de cérémonie. A l'intérieur de cette salle, un couple d'anciens est prosterné devant l'autel, derrière eux à côté de l'entrée une jeune prêtresse habillée d’un hakama de moine, blanc au-dessus et rouge en bas, tape dans des gongs à l'aide de petits bâtons en bois. C'est alors que le maître de cérémonie apparaît de derrière l'autel en brandissant sur le vieux couple un bâton en bois orné de bandes de papier pliés en origami qui font un bruit de froissement quand il le secoue au-dessus de ces derniers. Il continue de se gigoter le bout tandis que je poursuis ma visite en montant dans les étages de la structure du bâtiment principal. Seul le dernier étage comporte une pièce, aussi carrée que fermée. Le balcon offre une vue splendide sur la région. Je redescends pour dire au revoir à la prêtresse de l'accueil et reprends mon chemin. Je trouve une route secondaire surélevée par rapport à la nationale et qui traverse à nouveau une splendide zone pavillonnaire, je prends beaucoup de photos des maisons pour une amie qui adore la campagne japonaise. Arrivé à Matsunaga, je n'ai d'autre choix que de retomber sur la N2, je bifurque alors au sud pour éviter le trop plein d'agglomération et atterris dans une zone industrielle et commerciale. Un énorme Uniclo me donne encore une bonne excuse pour poser le pied. Ensuite je me résous à continuer non-stop jusqu'à Onomichi.

  

C'est une toute petite ville, balnéaire, au sud un ensemble d'îles reliées par une longue route de 50kms menant  à la grande île de Shikoku, où je n'avais encore pas réussi à me rendre ni depuis Kobe ni depuis Okayama. Mais cette fois-ci le pont est autorisé aux deux roues, c'est même encouragé, voilà ma chance. Je vadrouille tout d'abord dans les ruelles de la ville, c'est mignon, elles sont pleines de petits bars et restaurants, mais cela ne semble pas un endroit touristique, en tout cas ça ne sent pas l'attrape couillon. Je trouve mon bonheur du deuxième coup seulement, et encore moins cher que la veille, 2500 yens la nuit en dortoir. C'est un appartement familial. La maîtresse de maison est adorable, elle est en train d'aider ses trois enfants à faire leurs devoirs dans leur chambre juste derrière le salon. Elle vient me présenter une carte de la ville pour m'indiquer : un bain public, un restaurant de ramens, un autre de sushis, un troisième spécialisé dans les gaufres, ainsi que la station de ferry qui fait la connexion avec l'île d'en face. En m'expliquant que c'est beaucoup plus pratique et agréable que de franchir le pont. Ensuite elle déballe une seconde carte, pour les cyclistes cette fois-ci. C'est la carte de la Setouchi Shimanami Kaido, qui semble se traduire par : carte de guide pour cyclotouristes. Six ponts à franchir et six îles à traverser dans la mer intérieure de Seto, depuis Onomichi dans la préfecture d'Hiroshima jusqu'à Imabari dans la préfecture d'Ehime, pour un parcours total de 70kms sur une route tracée.  Apparemment les six structures qui relient les îles sont de fameuses œuvres du génie civil nippon. Ça doit être quelque chose, sur la carte c'est déjà impressionnant. Je dois passer les ponts de Innoshima, Ikushi, Tatara, qui fait un kilomètre et demi, Omishima, Hakata-Oshima, et le dernier, Kurushima-Kaikyo, qui fait plus de quatre kilomètres. J'ai trop hâte d'y être, je vois ça d'ici, passer d'îles en îles pour rejoindre l'autre rive, atteindre la ville côtière d'Imabari, sur la grande île de Shikoku tant convoitée. Le dépliant donne aussi beaucoup d'informations sur tout ce que l'on peut trouver en chemin : les transports publics, bus, ferry, terminaux de location de vélos. La signalétique du parcours pour cyclotouristes, qui consiste à suivre une bande bleue tracée au sol et des panneaux indicateurs tous les 500 mètres. Les cinq règles de conduite sécurisée de la police locale :

 

1: Rester sur la chaussée, utiliser le trottoir uniquement si nécessaire.

2: Rester sur la gauche de la chaussée.

3: Les piétons ont la priorité, éviter les piétons en restant sur la chaussée.

4: Obéir aux règles de sécurité :

A : Pas de conduite en état d'ivresse, pas de dépassement en vélo, ne pas rouler côte à côte.

B : Utiliser un éclairage la nuit

C : Obéir aux feux de circulation

5: Port du casque obligatoire.

 

Sont aussi affichés les numéros de la police et des ambulanciers, les centres de tourisme, quelques restaurants et lieux de visite, et toutes les curiosités à voir sur les îles : des parcs, musées, jardins, châteaux, une ferme d'élevage de dauphins, et bon nombre de belvédères.

 

Mais pour l'heure je me contente de prendre mes quartiers. C'est vite fait, je discute avec mon voisin de couche, Garth, un vancouverois camarade de pédalage qui semble passer sa vie sur son vélo. Il est tout équipé, vêtements moulants, quatre sacoches à accrocher sur le cadre, chaussures étanches et tout le toutim. Je ressors faire un tour en ville, passe aux bains, mais j'ai oublié le ticket de réduction à la maison d'hôte, alors je continue à marcher dans les ruelles, il y a des chats un peu partout, un homme est en train de finir une peinture sur le rideau de fer de sa boutique, je passe devant la seule épicerie du quartier, puis en remontant au hasard je retrouve la chère nationale 2, que je traverse pour continuer à monter jusqu'à une splendide entrée de temple. Il y a de nombreuses marches qui mènent à différents niveaux dans la colline surplombant la région, il y a beaucoup d'édifices, de tombes, d'autels, de statues, c'est très grand. Il s'agit du temple Saikokuji, héritage culturel national, je n'arrive plus à m'arrêter de prendre des photos. Le soir s'annonce, alors je fais demi-tour et rentre demander un coupon pour les bains puis m'y rend. C'est très bien tenu, le vieux monsieur en costard à l'entrée me reçoit et m'explique comment utiliser la machine pour le obtenir un ticket d'entrée. Ensuite on enlève ses chaussures puis on se déshabille dans le vestiaire. Les bains jap, c'est bite à l'air obligatoire de 7 à 77 ans.

 

A l'entrée sur la droite il y a un petit bassin d'eau glacée, tout de suite à gauche un espace pour se laver, cela se présente comme des comptoirs avec un long miroir tout en longueur et des douches alignées les unes à côté des autres au pied desquelles tout le matériel de décrassage est posé. Puis en face de cela un grand bain chaud, très chaud surtout quand après la douche, j'y plonge mes avant-bras couverts de coups de soleil, ça fait un mal de chien. Et juste à côté du grand bassin, la pièce du sauna. C'est très agréable d'alterner le bain chaud, l'eau glacée, le sauna et ainsi de suite, même si à mon humble niveau d'expérience, le sauna est difficilement supportable. Si j'y inspire trop fort des naseaux, je les sens brûler de l'intérieur. En fin de séance je plonge mes avant-bras dans l'eau glacée durant dix longues respirations, c'est le meilleur moment. Ensuite une nouvelle douche, pour le plaisir et je ressors à la recherche d'Itshiraku, le restaurant spécialiste des ramen que la maman m'avait recommandé un peu plus tôt. A peine ma commande passée, voici que Garth fait son entrée, je suis au fond, lui fait coucou et il me rejoint. Il a 66 ans, le bide comme un ballon, a parcouru plus de 104 pays à vélo et il est encore chaud patate. Il me raconte des anecdotes en s'y présentant systématiquement comme élément central. Me raconte qu'au Vietnam il allait dans un 7Eleven tous les matins et que les trois serveuses lui offraient à chaque fois un sandwich, il me regarde avec des yeux tous ronds en me demandant "Pourquoi est-ce qu'elles m'en offraient un tous les matins ? tu as une idée toi ?" Il prend bien soin de se faire mousser la nouille sur chaque histoire qu'il raconte et se lamente sur tous les pays qu'il a autrefois parcourus, mais qui sont aujourd'hui trop dangereux et que je ne pourrai pas faire à mon tour si jamais je les envisageait. Sur le chemin du retour la ville est morte, la maîtresse de maison nous avait prévenue, le jeudi tout est fermé dans cette ville. Notre troisième camarade de chambre et un ronfleur tout comme Garth (et moi-même) mais cette fois je sors les bouches-oreilles.

 


Quatrième jour:

 

Réveil à cinq heures et j'ai bien dormi, je n'ai pas encore trop l'habitude des chambres d'hôtes alors je sors mon grand sac empaqueté la veille dans le couloir et finis de me préparer là afin de ne pas faire trop de bruit. Il faut faire très attention dans les escaliers, ils sont étroits, en colimaçon et le mur est couvert de magazines. Un autre client est levé, c'est aussi un cycliste, décidément. Il a un gros carton d'affaires qu'il s'apprête à emporter à l'aéroport. Il a déjà expédié son vélo au pays, maintenant c'est à son tour d'y retourner, direction Taïwan pour monsieur, et ferry pour moi. La tenancière se lève à peine quand je suis sur le départ, j'ai sorti mon vélo dans la rue pour le charger. Une carotte, un verre d'eau et mes derniers cookies à la vanille, puis je fais mes au-revoir. Le quai du ferry est à deux minutes, il n'y a que des chats dans la rue à cette heure-ci. Il est 5h55, le premier bateau est à 6h, nous ne sommes que trois personnes à patienter là, dont un scooter. Un plan accroché au-dessus de l'abri du quai me montre qu'il y avait décidément bien des choses à voir dans cette charmante petite ville d'Onomichi. Si j'ai l'occasion, j'y retournerai. Une fois la rivière passée j'embraye à fond les ballons dans la mauvaise direction, après rectification directionnelle, je trouve la fameuse bande bleue. Sur mon GPS la E76, la route surélevée interdite aux deux-roues qui parcoure les îles de la manière la plus directe fait 53kms, mais pour moi il va falloir en avaler 70. J'y vais tout de même de bon cœur car le bord de mer est splendide, l'eau scintille sur le reflet du soleil encore timide. J'ai tellement bien fait de rester une nuit a Onomichi et de commencer ce parcours au petit matin. Les routes sont tranquilles, ce n'est pas très développé et tout est bien pensé pour les deux roues.

 

Au pied du premier des ponts à franchir, la bande bleue va se perdre dans une montée de colline juste au pied de l'impressionnante structure en métal. 1,2km de montée à 3% indique le panneau. C'est parfait pour finir de chauffer les cuisses. Une fois en haut le chemin des deux- roues passe sous la route et je me retrouve à traverser le pont par en-dessous, au cœur même de ce qui forme la passerelle métallique soutenant la E76. C'est impressionnant mais question paysage on repassera, je ne vois que l'eau en dessous de moi. Mon vertige ne me fait pas autant d'effet que d'habitude, je mets cela sur le compte de ma confiance aveugle en l'ingénierie civile japonaise. Arrivé au bout du pont je vois un scooter qui m'avait dépassé mettre une pièce dans une sorte de péage sans barrière, mais d'après l'écriteau c'est gratuit pour les vélos. Me voilà sur Innoshima. Il y a de belles plages et une longue berge déserte, c'est encore tôt. Ensuite la route part dans quelques collines avec de splendides pavillons. Une propriété dans le coin doit coûter la peau des rouleaux. Sur la bande bleue il y a parfois ce que je pense être une ville d'indiquée, ou peut être que c'est le nom de la voie, avec un kilométrage décroissant. Le nom affiché est Imabari, ça serait donc la route d'Imabari ? Plus connu sous le nom de : Imabari la route... Le second pont est suspendu, ils ont réussi à faire à nouveau une montée de 3% sur 1,2kms pour atteindre le pont.

 

Une fois traversé, je fais une petite pause sur un banc posé au bord de l'eau, mange un bâton au poisson et c'est reparti. J'ai la patate, il y a des petites bourgades mais aucun restaurant, des pêcheurs, des temples, quelques cyclistes font leur apparition. L'eau est claire et le ciel dégagé. Le troisième pont est également suspendu, puis le quatrième en arche, les montées commencent à se faire sentir, l'étroit chemin qui serpente dans la montée est décoré d'affiches de marques de sport et de vélos de course, il y a aussi un panneau d'aide en cas de problème expliquant que les vélos peuvent être transportés par camion ou bateau et qu'il y a un service de taxis en anglais. Arrivé au pied du quatrième pont, après une jouissive descente, je vois un panneau : Sanctuaire des cyclistes. Il explique que ce monument en pierre été érigé pour commémorer le jumelage des parcours de Setouchi Shimanami Kaido et celui du Sun Moon Lake de Taïwan, le 25 octobre 2014 par le comité de promotion de Setouchi Shimanami Kaido et la Fédération de Cyclisme de Taïwan. De même que la célébration de l'événement international de Cyclisme de Shimanami qui s'est déroulé la même année. C'est une représentation de la volonté de faire de ce parcours un trésor pour les cyclistes du monde entier ainsi que le symbole d'un indéfectible lien entre les îles du parcours. Je m'y rends de suite, toujours en suivant l'infatigable bande bleue. Ce sont trois pierres posées comme un dolmen, l'une des pierres qui tient la structure est taillée et lisse avec deux trous représentant les roues d'un vélo. Un peu plus loin je trouve des marchands de fruits spécialisés dans la clémentine et ses variantes. En fait, il semblerait d'après un tableau des variétés se présentant sous mes yeux que la clémentine ne soit qu'une lointaine cousine des variétés locales. C'est un fruit du nom de Kiyomi qui est au centre de l'attention avec pas moins de 24 autres variétés gravitant autour d'elles, reliées par des traits et des pointillés selon les affinités. On dirait les résultats d'une équipe de savants fous n'ayant eux que des agrumes sous la main pour faire leurs manipulations génétiques. Je fais le plein et me régale en regardant la mer.

 

Le pont suivant n'est visible qu'une fois dessus, et je ne sais pas de quel type de structure il s'agit, en revanche le dernier de la bande est gigantesque. Il est impossible d'en voir le bout qui disparaît dans les brumes et l'horizon. Je compte les arches à mesure qu'elles passent et j'essaie de ne pas trop m'approcher du bord en roulant. J'arrive au bout vers 11h et quitte la bande bleue cinq kilomètres avant l'arrivée. C'était sport, mais quel spectacle.

 

En poursuivant vers l'ouest afin d'éviter la ville, je trouve un supermarché où je me procure enfin mon déjeuner. Des bâtons de poisson frits bien gras et des barres gélatineuses à la pâte de haricot que je déguste sur un des bancs devant la grande surface. De retour sur la route, il y a à nouveau cette bande bleue avec des indications pour les vélos, moi qui pensais l'avoir semée. Elle indique Matsuyama à 33kms et il est tout juste midi. La route longe à nouveau de bord de mer, je fais pleins d'arrêts photos, puis une étape dans un drive-in pour bikers. L'extérieur est décoré à l'américaine, c'est le « Out There » de son patronyme. Avec le dessin d'une Haley de profil au-dessus du nom, une pancarte « Road 196 » (imitation du design Route 66) un dessin de chien chaud, une tasse de café et DRIVE-IN écrit en gros, le tout aligné sur la façade de la boutique au-dessus de la longue baie vitrée de la salle de restauration. Devant, sur la première place de parking, se trouve une fausse Harley Davidson avec un chapeau de cow-boy posé sur le siège. Je me pose à côté d'un couple de motards et commande des morceaux de poulet frits avant de noircir quelques pages. Je commence à m'assoupir, ne n'ai plus envie de bouger, il ne faut surtout pas que je m'allonge. Je n'ai pas pris de vrai repas de la journée et j'ai dépassé les 100kms. Je dois repartir, j'en ai encore 15 avant la ville. Les coups de soleil sur les bras ne s'arrangent pas, alors je passe aux manches longues. Je ferais bien de les garder aussi demain, et après-demain et encore après, vers l'infini et au-delà.

 

L'auberge que j'avais repérée est en plein centre de Matsuyama, juste à côté d'une énorme colline qui abrite le château de Yuzuki. En arrivant au logis, je constate que c'est une très vieille maison, tout en bois, trois mecs sont à l'intérieur, trois générations différentes, assis dans le salon à jouer à ce qui ressemble à une variante du ma-jong. L'un d'entre eux se lève pour m'accueillir, comme à mon habitude je n'ai pas de réservation mais ça ne pose aucun problème.

 

Au rez-de-chaussée se trouve la cuisine, juste à côté de l'entrée où l'on retire ses chaussures pour les mettre dans un petit casier, sur la droite un grand et un petit salon. Sous les escaliers se trouve la salle de bain, grande main terriblement froide dans sa composition et sa décoration. Enfin à l'étage il y a trois chambres de quatre lits chacune et un lavabo orné d'un petit miroir.

 

J'ai dû traverser le campus Johoku de l'université de Ehime pour arriver à l'hôtel, et j'étais sans doute tombé sur un horaire de sortie de cours car les étudiants encombraient la rue jusqu'à saturation. Mais surtout, je n'avais pas vu que j'étais sur un campus de fac, en plein centre-ville, je l'avais traversé sans m'en rendre compte. Une fois douché, je ressors pour dîner et me prend la pluie. Près de mon lieu de repos se trouve une station de tramway avec une rue commerçante couverte, quelques couples s'y baladent en habits traditionnels, une vieille locomotive est exposée là, en extérieur. Comme la veille, je vois des chats un peu partout. Depuis la place où se trouve la locomotive, une rue part en montée sec et sur une petite place un peu plus haut est posée une fontaine avec un banc en arc de cercle tout autour. C'est semble-t-il fait ainsi pour pouvoir s'asseoir et y tremper les pieds. Encore un peu plus haut est érigée une statue de Masaoda Shiki, un héros national ayant vécu durant la seconde moitié du 19ème. Issu d'une famille de samouraïs, il est parti vivre à Tokyo en 1883 pour intégrer l'université impériale et devenir un gratte papier. A 25 ans, il travaille pour la Nippon Newspaper Company. Il part pour la Chine en 1895 en tant que correspondant de guerre. Une fois terminée, il revient dans sa ville natale de Matsuyama pour se reposer car atteint d'une maladie du sang depuis l'adolescence. Il meurt en 1902 à l'âge de 34 ans. Il reste connu dans son pays pour son mouvement de réforme littéraire qui a beaucoup influencé ses contemporains ainsi que sa contribution à la popularisation du base-ball, notamment en traduisant de l'anglais nombre de termes techniques de ce sport dont il était grand amateur. Sa statue le montre avec un uniforme de base-ball, assis, une batte à la main.

 

Sur ces bonnes paroles, je m'en retourne au dortoir manger un maximum des fruits achetés ce matin car tout de même, ils pèsent lourd dans le sac. Mes trois hôtes sont toujours autour de leur plateau de jeux, ils l'ont juste, pour une raison que j'ignore, déplacé dans un autre coin du salon. Je demande à celui qui m'avait fait visiter si je peux me servir de l'eau, il me dit que oui, je lui demande de m'indiquer où se trouve la fontaine, il me fait juste un signe de la main. Au bout d'une minute à se regarder dans le blanc des yeux, il finit par se lever pour marcher jusqu'au robinet de la cuisine... Il doit se demander de quelle planète je viens… Je n'ai plus l'habitude de vivre dans un pays où le gouvernement a jugé bon de fournir de l'eau potable à sa population.

 

 

Cinquième jour :

 

J'ai à nouveau bien dormi, deux nuits de suite c'est bon pour le kilométrage. Je suis prêt un peu avant sept heures, au départ il me reste une carotte, quelques fruits et les gâteaux à la pâte de haricot. Mission du jour : traverser la ville d'est en ouest, trouver la 378 et suivre la côte jusqu'à trouver un ferry pour m'emmener à la ville de Beppu, sur Kyushu, la grande île tout au sud du Japon.

 

Je fais d'abord le tour du château de la ville, dont je n'aperçois pas la moindre brique puisque perché en haut de sa colline saturée d'arbres. Il doit sûrement être quelque part là-haut mais je n'ai guère envie de faire de la grimpette de si bon matin. Le tour de chauffe est tout de même agréable car je traverse les jardins de Nimomaru, au pied de la colline. C'est très calme, il y a des anciens, des sportifs. Ensuite je prends au sud jusqu'à me faire barrer la route par le fleuve qui traverse la ville et suis la berge sur plusieurs kilomètres en direction de l'ouest, ce qui me permet de sortir de l'agglomération tout en souplesse. La matinée est brumeuse, il y a un bateau qui tracte un skieur qui s'amuse dans le lit du fleuve. Le pont de la route 22 me permet cette fois de descendre plein sud. Un premier stop dans une boulangerie de la petite ville de Masaki, puis la 378 tant convoitée qui me permet d'atteindre la côte. C'est encore plus brumeux qu'en ville, en fait je vois à peine la mer, mais la route est parfaite. Des panneaux indiquent les noms de villages de pêcheurs avec toujours le même symbole : un poisson qui saute au premier plan, la mer qui couvre la moitié inférieure de l'image et le soleil levant, rouge, en arrière-plan. Je passe aussi une école de plongée, un groupe de coureurs tout de fluo vêtus et un peu plus loin dans une côte, une petite boutique de route propose une barquette de ces boules de pâte frits avec divers fourrages, viande, oignons, légumes, je commande au hasard. Le groupe de coureurs me dépasse à son tour alors que je suis assis en pleine dégustation. Je n'ai fait que 33kms et il est déjà 9h44, il va falloir se secouer un peu.

 

Alors que je suis en train finir la délicieuse barquette, un dilemme logistique se pose. J'avais bien essayé de l'ignorer jusque-là, mais je vais bientôt atteindre la bifurcation fatidique. J'avais prévu de prendre au sud jusqu'à un port près de la ville d'Itaka. Ce n'est pas trop loin et un ferry va tout droit sur Beppu. Mais la ligne bleue réapparue ce matin m'indique une autre possibilité, un autre port beaucoup plus éloigné, au bout d'un bras de terre s'étirant vers l'ouest. L'endroit étant indiqué par la ligne des cyclistes, c'est probablement une destination prisée des deux roues, le parcours le long du bras de terre semble idéal pour une journée de folie. Je finis ma pause sur une clémentine et reprend du service. Si je bourre comme un forain et que j'atteins le bout de la 378 avant midi, je reverrai mes possibilités. Je redouble les coureurs, puis arrive au croisement du destin. La 378 se termine là, fauchée perpendiculairement par la 197. En tournant à droite j'ai 37kms à faire jusqu'à l'embarcadère d'une ville dont j'ignore le nom car je n'ai rien sur ma carte. A gauche j'ai 6kms pour atteindre la ville de Yawatahama avec son port et son ferry pour Beppu. Je prends l'option numéro deux. C'est donc l'esprit léger que je termine la route du jour, en chemin je m'arrête de devant un Daiso, un vrai, dans son pays d'origine. C'est une enseigne de produits du quotidien, maison, jardin, fournitures scolaires et autres. Les rayons grouillent de petits articles pas chers et bien pensés, j'y trouve même une pompe à vélo et un kit à rustines. Au rayon jardin ils vendent des friandises pour scarabées… d'après la notice il faut enfiler la substance dans un trou creusé dans un morceau de bois, ils vendent aussi les morceaux de bois en question. De retour sur la route je passe un village de pêcheurs avec un Totoro grandeur nature en papier à l'entrée, sous un abri en bois sur lequel est dessiné la petite Satsuki, elle est peu ressemblante, mais je reconnais le plan de la scène où elle attend à l'arrêt de bus sous la pluie. Juste à côté, un magasin où j'achète des bananes. En sortant de l'agglomération une musique retentit, elle vient du village, elle sonne midi. Je traverse un dernier tunnel et me voilà arrivé. Le port est clairement l'activité principale de la ville, je mets du temps à me faufiler jusqu'aux deux quais pour les ferries. L'un est à destination d'Usuki, l'autre de Beppu, prochain départ à 13H. Les bateaux sont énormes, des paquebots, un grand hangar pour les véhicules, un niveau pour la classe économique et la cabine de pilotage et un dernier pour la vue, c'est le pont. Je vois mon transporteur accoster, c'est un monstre, il ouvre grand la gueule pour décharger son lot de camions et autres véhicules. Il se met à pleuvoir, un seul autre cycliste attend avec moi près de la passerelle, il ne prend même pas la peine de se mettre à couvert, les autres passagers montent par le côté du bateau tandis qu'il nous faut attendre le signal pour entrer par l'accès aux véhicules. Une fois à l'intérieur du hangar, le personnel nous fait signe de venir nous garer sur le côté près des escaliers qui montent en cabine. Ils posent mon vélo sur la paroi du bateau, l'enroule de chiffons sur les parties en contact avec le métal, le sanglent et le calent jusqu'à ce qu'il soit parfaitement immobile. Je peux monter tranquille. Les cabines sont en fait de grands espaces ouverts avec de larges carrés surélevés couverts de moquette sur lesquels les passagers vont s'asseoir après avoir retiré leurs chausses. Il y a quelques meubles qui séparent les carrés dans lesquels sont entreposés des briques molles en libre- service. Ça me rappelle les dojos de mon enfance. J'ai presque trois heures à tanguer, je commence par un plateau de fruits sortis de mon sac, en prenant soin de vérifier que l'on a le droit de manger sur la moquette. Ensuite c'est un réaménagement du sac avec les nouveaux éléments de chez Daiso, puis un examen approfondi de la présence hôtelière sur le secteur de Beppu. Elle semble truffée de charmants établissements aux prix exorbitants. Je remets mes chaussures pour faire le tour du niveau où je me trouve, il y a une salle de jeux, une dame est en train de s'exciter sur une machine de pachinko, un restaurant, un café, et juste à côté du comptoir, un petit rayon de magazines pornos. Pour ce qui est des magazines de cul, on en trouve dans absolument toutes les épiceries: les 7Eleven, Lawsons et autres C Store. Tous ont leur rayon cochon adossé à la vitrine du magasin, il y a des magazines et des mangas. J'en aurais bien acheté un mais quand on loge en dortoir, ça perd un peu de son  intérêt. En même temps les japs lisent ça n'importe où et à tout moment de la journée, mais encore une fois, je passe le plus clair de mon temps les deux mains sur le guidon. Sur le bateau le temps passe vite, j'écris, je regarde la mer. Quelques gouttes parsèment les hublots, mais il faudra attendre le débarquement pour que ça se mette à tomber comme il faut. Pour nous autres deux roues, il faut attendre que les véhicules lourds soient tous sortis, et ça vaut mieux, les camions ont juste la place pour sortir du bateau. J'ai 3,6kms à rouler plein sud pour trouver l'hôtel du jour, et c'est une perle ! Un vrai homestay de style traditionnel, tout y est.

 

L'entrée et immense avec à gauche une partie surélevée en tatami, à droite le comptoir de l'accueil et en face un autel avec une armure de samuraï. Juste derrière le comptoir se trouve la porte de la partie cuisine et salon, et tout au fond à gauche de l'autel l'accès à l‘onsen. À droite de l'espace « tatamisé » il y a les escaliers qui mènent aux étages supérieurs qui sont immenses, composés de larges salles composées de auvents et de futons pliés.

Le personnel de l'accueil est indien, il est très rigolo et très aimable. Je monte dans le dortoir pour déplier mon lit et mettre les draps, puis redescend profiter de l’onsen tant qu'il est encore tôt. Une fois propre je ressors, toujours sur mes deux roues, traverse ce qui est à l'évidence le quartier cochon (par le plus grand des hasards), les enseignes montrent des séries de photos des filles avec leur nom, âge, mensurations et quelques autres menues informations. Il semble que les filles de ce genre d'établissement soit surnommées des "savons" plusieurs fois j'y vois ce mot écrit, sûrement que ça doit se frotter la dedans. Comme l'hôtel a un coin cuisine, je fais mes courses au supermarché pour me cuisiner un bon dîner à base de blanc de poulet et champignons. J'ai déjà mangé un ramen dans un restaurant du quartier commerçant, il n'y a pas une heure de cela, mais en passant sur la balance après mon bain, l'écran a affiché 71 kilos, alors je me dit que je suis large, je peux me faire plaisir sur la ripaille. C'est aussi l'avantage de voyager en vélo, surtout que je suis une règle d'or, déjà évoquée en début de périple.

 

La règle d'or est simple: une seule boisson, l'eau.

 

Du robinet, minérale, plate, pétillante, bouillie, avec des glaçons, une paille, un petit parasol en papier, on se fait plaisir, mais qu'avec de l'eau. Les briques de jus de fruits, les boissons énergétiques, les sodas, les yaourts en bouteille, les poudres à diluer, le café, tout ça « c'est de la meeeeerde ! » Éventuellement un petit sachet de thé de temps en temps, quand c'est jour de fête, c'est tout. Et alors, tu crois que Marathon il avait du Red Bull ? De plus, en voyage je suis comme un dromadaire,  je bois peu et je stocke. En général, je bois beaucoup le matin, beaucoup le soir, au levé je pisse mon litre mais une fois sur la route, je peux faire des 20 ou 30 bornes sans boire. Il y a des fontaines d'eau chaude dans tous les convenience store, c'est utile pour ceux qui achètent des nouilles instantanées déshydratées. Grâce à cela je ne suis jamais en manque de liquide, cependant l'inconvénient est que l'eau est systématiquement bouillante, alors je dois faire attention de garder une petite moitié encore remplie pour équilibrer la température.

 

A mon retour en dortoir mon voisin de futon est déjà en train de dormir, il est en fait assez loin dans la pièce donc ça n'est pas dérangeant, ni pour lui ni pour moi. Je me saisis de la dernière carotte que j'ai dans le sac et redescends faire la popote. Un peu plus tard dans la soirée, un couple débarque dans la salle à manger avec un sac plastique plein de victuailles, ils m'expliquent qu'ils sont passés au supermarché en début de soirée, quand beaucoup d'articles passent en promotion. Ils sont français et lui vient comme moi de Besançon, ils parcourent le japon en train, deux mois durant. Quelques jours auparavant, ils étaient sur une petite île encore plus au Sud que Kuyshu, mais ils n'avaient pas pu sortir de leur hôtel à cause d'une alerte au typhon. Ce dernier n'est pas monté jusqu'ici mais cela n'augure rien de bon. Je les laisse déguster en paix et retourne à la réception pour confirmer les horaires d'ouverture de l’onsen. Ce que je pensais avoir mal compris est en fait exact, le bain est ouvert toute la nuit jusqu'à dix heures du matin. Quel pied, si jamais j'ai du mal à dormir je saurai où aller me chauffer la nouille.